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J’attends un bus qui ne viendra jamais

Je regarde Mme M. “Je ne peux pas chercher un emploi actuellement. Je dois aller voir mon frère, gravement malade, en Algérie », me dit-elle en guise de réponse aujourd’hui. Je suis sa conseillère au sein de l’agence Pôle Emploi d’Argenteuil. Voilà plus de 8 mois, que je tente d’aider Mme M. à construire un projet professionnel… en vain. Rien ne bouge. A chaque rencontre, Mme M. bloque. Son fils qui ne sort plus de sa chambre, des démarches administratives qui “la bouffent”, son frère qui vient de lui annoncer son hospitalisation… autant de raisons qui décalent inévitablement le moment où elle se lancera sur le marché du travail.

Pourtant, dès notre première rencontre, elle m’avait annoncée de but en blanc qu’il lui fallait absolument un travail après ces deux ans “à tourner en rond”. “Je n’en peux plus. Je me sens inutile. Dans un an, je n’aurai également plus assez d’argent pour vivre”, avait spontanément annoncé cette femme de 57 ans. Il y avait urgence mais j’étais confiante. Aujourd’hui la fin inéluctable de ses allocations de retour à l’emploi pèse sur nos rendez-vous.

C’est d’ailleurs cette peur de ne plus rien trouver, de ne plus pouvoir payer ses factures, de ne plus être choisie par les employeurs, qui l’avaient poussée à participer volontairement à un coaching intensif dédié aux séniors sans emploi. 6 mois d’accompagnement où je l’ai rencontrée chaque semaine, où elle a arpenté tous les ateliers dédiés aux demandeurs : faire un CV percutant, savoir se présenter, reconnaître ses compétences… autant de rendez-vous où elle s’est rendue docile.

Elle a serré la main du président du regroupement des entreprises du Val d’Oise, discuté avec le responsable de la pépinière d’entreprises de la ville, s’est rendue à mes côtés, avec 5 autres personnes de plus de 50 ans, à la Cité des métiers à Paris… Pourtant, si la plupart ont renoué avec la vie active, Mme M. est là, devant mon bureau, les mains nouées, à me répéter que son frère ne va pas bien. Sans emploi, bientôt sans ressource.

Je craque : “Ok. Bon, vous allez le voir quand votre frère, malade, en Algérie ?” Je suis à bout et je me pose mille questions mais une, que j’ai sans cesse reléguée au fond d’un tiroir, revient de manière sournoise dans ma tête : “Mme M. cherche-t-elle réellement un travail ?” Une question “facile”, “arbitraire”, et répugnante, que tant de contribuables se posent sur les réseaux sociaux. Cette question en tant que conseillère, je la déteste et je souhaite la repousser maintes fois parce qu’elle signe surtout mon échec à faire naître la petite étoile dans les yeux de ceux que je suis au quotidien au sein de mon agence.

Non, je ne peux pas y aller. J’attends que le prix du billet d’avion baisse.” Cette phrase me frappe en plein cœur. “J’attends”. Ce sujet/verbe… je l’avais déjà entendu auparavant lors de nos précédentes discussions. « J’attends« .

Mme M. est-ce que je peux vous proposer un suivi un peu particulier ? Il s’agit d’un coaching innovant qui s’appelle métanature®.” Une évidence s’ouvre soudain à moi. J’ai été formée à la méthode métanature® par Jean-Luc Chavanis dans le cadre d’une solution en test dans le Val d’Oise pour aider les demandeurs d’emploi, chômeurs de longue durée. Je n’ai jamais encore osé m’en servir. Et si ça fonctionnait ? Une semaine plus tard, je retrouve Mme M. Elle n’est bien évidemment toujours pas allée voir son frère. Je lui explique ce que je vais faire à savoir utiliser des cartes de nature pour échanger avec elle. Puis je me lance, lui montre les cartes CmaNATURE® (crée par mon mentor Jean-Luc Chavanis) et notamment des paysages de jardin . Elle désigne celle qui ressemble à sa situation : un chemin barré par des feuillages. Puis les mots sortent, durs comme de la pierre, les souvenirs remontent : une claque pour la professionnelle que je suis. L’accident, son mari, sa fille, leur décès. Et cette attente depuis pour refaire sa vie. “En fait, j’attends depuis longtemps d’être heureuse”, me raconte-elle émue. “Mes amies me disent “Mais tu attends quoi pour rencontrer un homme ?Je ne sais pas ce que j’attends mais j’attends. Parfois je me pose à un arrêt de bus et j’attends un bus, qui n’est pas le mien et qui ne viendra jamais.” Les phrases claquent dans l’air. Je suis figée. Tout s’éclaire pour Mme M. Elle choisit une nouvelle carte, pour une nouvelle vie. Un jardin fleuri. Il n’y a plus de feuillage, plus de barrières. Des fleurs chatoyantes s’étalent désormais devant nos yeux.

Quelques jours plus tard, Mme M. viendra me voir à l’accueil, souriante. “Je pars voir mon frère maintenant. Je voulais vous l’annoncer.” Mme M. n’attend plus. Elle est revenue de son voyage après un mois, dans son pays natal. Aujourd’hui elle a un projet qu’elle a mené sans moi : devenir assistante maternelle. Plus jamais elle ne se posera à un arrêt de bus. Parce qu’elle est montée désormais dans celui qui la conduit vers un nouvel avenir.

Témoignage de Julie Miquel-Beau, Pôle Emploi d’Argenteuil – premier accompagnement réalisé métanature® en 2021.